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Que penser de Pollinis et de sa pétition ?

Depuis quelques jours, une nouvelle pétition circule sur les réseaux sociaux et dans les boites mail, au sujet de l'interdiction des pesticides néonicotinoïdes en Europe, qui ne serait qu'un "coup monté" au profit des multinationales.

Que penser de ce texte et de cette pétition ?
Et que penser de Pollinis, l'association qui en est à l'origine et contre laquelle s'élèvent les voix ??

L'interdiction des pesticides, un projet peu efficace pour aider les abeilles ?

La pétition qui circule invite les citoyens européens à se manifester rapidement, avant l'entrée en vigueur de la décision finale de la Commission Européenne qui avait, rappelons-le, annoncé sa volonté d'imposer une interdiction d'utilisation de certains pesticides, pendant deux ans, et ce contre l'avis de plusieurs États Membres.

Si les associations ont crié victoire à l'annonce de ce moratoire, nous savions tous que le texte était imparfait.

En effet, l'interdiction — qui entrera en vigueur en décembre — ne concerne que 3 pesticides, et leurs utilisations sur 4 cultures (colza, tournesol, maïs, coton)... laissant libre cours aux utilisations sur plus d'une cinquantaine d'autres (céréales d'hiver, légumes, arbres fruitiers, plantes aromatiques, etc.)

Qui plus est, la durée de vie de ces substances dans l'environnement (eau, sol) peut atteindre plusieurs années, ce qui dépasse largement les deux ans d'interdiction. Les produits feront donc encore effet longtemps après avoir été interdits.

Les effets bénéfiques du moratoire sur les colonies d'abeilles seront donc vraisemblablement nuls.

 


© Philine.be

 

Un coup monté des multinationales et de l'Europe ?

Le texte de Pollinis lié à cette pétition annonce que l'inefficacité des mesures proposées par la Commission servira les intérêts des multinationales incriminées, principalement Bayer et Syngenta : malgré une apparente interdiction de leurs produits, les populations d'abeilles continueront à décliner. De quoi innocenter leurs néonicotinoïdes pour de bon !

Si nous adhérons à cette partie du message — puisque cette issue est possible, voire probable —, nous ne cautionnons pas les relents conspirationnistes qui émanent du texte viral, et qui ne servent qu'à attiser une méfiance à l’égard des Institutions Européennes. Ces dernières ont pourtant (pour une fois !) tenu tête au lobby virulent, et imposé une décision allant dans le sens de l'intérêt collectif, après l'échec cuisant et honteux de la procédure de vote.

Si cette décision n'est pas la meilleure, il faut peut-être y voir simplement le résultat du fonctionnement politique : les objectifs sont toujours politiquement négociés, et ne suivent que rarement les nécessités scientifiques et les volontés citoyennes.

Étant actifs au coeur de Bruxelles, nous ne pouvons nier la puissance incroyable des lobbys, qui disposent de budgets considérables pour faire passer leurs messages, alors que nos associations peinent à faire face, humainement et financièrement. Le contre-pouvoir s'incarne donc dans quelques grosses associations qui ont pignon sur rue, comme Pollinis.

Des doutes sur Pollinis ?

À la suite de cette nouvelle pétition, des voix se sont semble-t-il élevées pour critiquer Pollinis et inviter les gens à ne pas signer. Parmi celles-ci, un article de Mathieu, apiculteur français, a été abondamment relayé ces derniers jours sur les réseaux sociaux et médias alternatifs.

S'il a été republié tout récemment [Altermonde-sans-frontières, 01.06.13], l'article en question est ancien, puisqu'il date de novembre 2012, et est donc sans lien direct avec la nouvelle pétition discutée plus haut. Au contraire, Mathieu partage les mêmes doutes que Pollinis sur l'efficacité concrète de l'interdiction européenne, et le blanchiment attendu des pesticides incriminés.

Sur son blog, l'apiculteur ne dénonce pas tant le message que le mode opératoire de l'association (une pétition sans action de terrain), qui ne servirait à rien, selon lui. De même, l'association ne ferait que surfer sur la mode actuelle des ruches sur les toits, et pratiquerait des tarifs élevés en comparaison avec les coûts réels de l'apiculture. Et de se demander, dès lors, où vont les bénéfices engrangés.

Nous n'avons pas de lien avec Pollinis, il nous est donc difficile de savoir ce que l'association fait de l'argent récolté et nous ne pouvons donc l'accuser ou l'innocenter sans en savoir davantage.

Par contre, nous savons que nos activités apicoles doivent contribuer au fonctionnement de notre association, avec du personnel à payer et de nombreux postes de dépenses qui ne rapportent pas d'argent directement : communication, rédaction, développement web, veille d'information, veille scientifique, recherche, etc. Peut-être en est-il de même pour eux ; tous ces frais tiennent évidemment d'une présence publique, scientifique et virtuelle qui dépasse largement le travail des simples apiculteurs.

Néanmoins, dans tout le débat qui entoure la crédibilité de Pollinis — jusque sur Hoaxbuster, le site qui traite des arnaques en ligne —, plusieurs observations judicieuses ont été relevées : l'association ne semble avoir quasiment aucun ancrage concret, nul ne sait réellement si ses "conservatoires" existent bel et bien, aucun témoignage de citoyen volontaire n'est mis en avant et aucune autre action réelle (manifestation, pression politique, etc.) n'a été relayée par la presse. C'est comme si l'association n'existait que par ses pétitions.

Malgré l'absence de visibilité de ses activités sur le terrain et des liens réduits (voire inexistants) avec les autres associations majeures actives dans la protection des abeilles et de la nature (UNAF, APE, etc.), on ne peut nier que l’apport majeur de Pollinis réside surtout dans sa capacité à attirer l’attention de nombreux citoyens sur la problématique des abeilles et des pesticides, comme l’ont également réussi Avaaz ou Change.

Ce faisant, il reste à voir le positif et espérer que cette conscientisation de la population motivera les autorités européennes à tenir tête à nouveau, et plus vigoureusement, aux multinationales.

Quant à savoir si Pollinis est une association réelle ou un écran de fumée pour d'éventuelles arnaques, seul l'avenir nous le dira.

 

Mise en ligne : juin 2013

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